1-Utilité du kiri kaeshi ?

2019-2020, Le Kendo

Un vendredi soir au Dojo, notre senseï a organisé l’entraînement autour du kiri kaeshi. A la fin, il évoque la question de l’utilité de cet exercice difficile. Devant notre regard interrogatif, il nous propose de réfléchir 30 minutes en quittant le Dojo et de poser sur papier (mail pour être moderne) le fruit de notre réflexion. Le challenge était lancé !

Le samedi matin à 11h25 pour être précis, il a reçu un travail exemplaire qu’il a souhaité partagé.

Guillaume avait produit un magnifique article sur le sujet commençant par ces mots :
Mes excuses si je semble penser que je sais de quoi je parle, mais je me suis dit qu’il fallait y aller à fond.

En y ajoutant la modestie, on ne peut que le remercier et le féliciter dans cette démarche de partage.

Mais le plus intéressant était également ce qui suit …

L’exercice du kiri kaeshi est central à la pratique du Kendo, il est rare qu’une séance au dojo se passe sans qu’il soit pratiqué et il est la première épreuve de chaque passage de grade. Le kiri kaeshi ponctue la pratique de tous les kendoka, sur la durée d’une séance comme sur la durée de sa vie entière. Nous nous trouvons ici devant la question de fait de son utilité, et nous discuterons donc ici du kiri kaeshi en tant qu’outil. L’utilité présupposant le but il serait peut-être possible de s’interroger sur l’existence d’un ou plusieurs buts à la pratique du Kendo, la question est sans aucun doute passionnante mais tenter d’y répondre ici par nous-même nous éloignerait du sujet bien trop longtemps, nous supposerons donc que le but est, selon la formule consacrée « forger le caractère par l’application des principes du sabre ». 

Bien que la quête de l’amélioration personnelle soit centrale à la voie du sabre, c’est un chemin que nous ne parcourons jamais seul, et l’exercice du kiri kaeshi se pratique à deux. Et puisque la question nous est posée dans le cadre d’un passage de grade il conviendra sans doute de penser aussi l’utilité de cette pratique pour l’observateur. Nous discuterons donc dans un premier temps de l’utilité du kiri kaeshi pour le kakarite avant de considérer le sujet du point de vue du moto dashi pour finalement nous intéresser à l’observateur extérieur.

En tant que pratiquant lorsque la question de l’utilité du kiri kaeshi est posée, le premier instinct est sans doute de se représenter sa propre pratique en tant que kakarite. L’exercice nous offre l’opportunité d’appliquer les principes du sabre, c’est à dire dans un premier temps, de polir la forme de notre pratique.

Cette première approche formelle permet au pratiquant de corriger sa posture, d’améliorer sa technique, d’évacuer petit a petit tensions et imperfections pour se rapprocher de la forme pure par la répétition inlassable du même exercice. C’est une sorte de pratique zen où le pratiquant recommence sans cesse le même mandala pour pouvoir l’oublier et le reconstruire à nouveau. Le kiri kaeshi est ici vu comme champ d’application éphémère de la forme idéale toujours recommencé. Sa simplicité apparente cache de nombreuses subtilités qui sont autant d’occasions d’améliorer les techniques du sabre et les postures du corps tout au long de notre vie.

Mais la pratique du Kendo n’est pas pure forme et les principes du sabre ne sont pas une simple compilation de postures physiques. Le Kendo est aussi affaire de mental, et sa pratique vise, nous l’avons vu, à l’amélioration du caractère humain. Là aussi le kiri kaeshi à une utilité pour le kakarite.

Il est souvent dit qu’il existe quatre maladies de l’âme qui perturbent la pratique du Kendo : la surprise, la peur, le doute et l’indécision. Une des utilités du kiri kaeshi pour le kakarite est sans doute d’offrir un moment dans l’espace et dans le temps ou ses quatre maladies sont moins puissantes. La familiarité de l’exercice élimine la possibilité de la surprise. La bienveillance et la compétence du moto dashi interdisent respectivement la peur et le doute. Le formalisme limpide exclut l’indécision.

La répétition de l’exercice permet de prolonger un état mental aussi vierge que possible de ces quatre maladies. C’est vers cet état mental, et vers la pratique dénuée de pensées parasite qu’il autorise que le pratiquant doit tendre.

Ainsi nous voyons que le moto dashi à un rôle actif a jouer pour permettre au kakarite d’éloigner la peur et le doute. Il n’est pas un mannequin passif qui reçoit des coups mais participe intégralement à l’exercice, ce qui laisse supposer que lui aussi y trouvera une ou plusieurs utilités.

Du point de vue formel, l’exécution correcte des mouvements du corps et du sabre qui composent l’exercice est bénéfique à la pratique du moto dashi. C’est l’occasion de recevoir tai atari, de travailler la distance, d’apercevoir les opportunités d’oji waza ou de travailler le tenouchi. Ce qui a été dit du point de vue de la forme de la pratique pour kakarite est aussi vrai pour le moto dashi. Peut être même plus encore car le moto dashi à la charge de s’adapter au partenaire pour lui offrir le canevas vierge dont il a besoin pour exprimer sa pratique la plus pure. Cette charge n’est pas sans difficulté mais l’exercice n’est pas non plus sans bénéfices. En effet la capacité à lire son partenaire est sans aucun doute extrêmement importante et le rôle de moto dashi permet de s’y exercer.

L’utilité du kiri kaeshi du point de vue de la technique du sabre et de la posture du corps est donc au moins aussi évidente pour le moto dashi qu’elle ne l’est pour le kakarite. Et nous pensons qu’il en va de même pour ce qui est de l’amélioration du caractère.

Le Kendo n’est pas une pratique solitaire c’est au contraire une activité où le groupe doit primer sur l’individu pour le bénéfice de tous. Les valeurs de solidarité et d’échange sont centrales dans le reigi et le rôle de moto dashi dans le kiri kaeshi offre un champ d’application à ses valeurs. C’est l’occasion de donner comme de recevoir, d’apprendre comme de transmettre. Nous avons tous constaté la joie sincère des maître japonais lorsqu’ils reçoivent le kiri kaeshi hésitant d’un jeune enfant débutant le kendo, nous l’avons éprouvé nous-même. Et de la même manière nous avons sans doute tous en mémoire au moins un kiri kaeshi reçu d’un partenaire à la pratique exemplaire. Dans la pratique du moto dashi il y a une cristallisation de ces valeurs de dialogue et de transmission qui sont à ne pas en douter utiles et nécessaires sur notre chemin.

Ces enseignements silencieux qui sont échangés entre pratiquants du kiri kaeshi ne leur sont cependant pas réservés, l’exercice est souvent utilisé comme une démonstration, que ce soit à l’intention d’un public novice, d’autres pratiquants ou même de juges lors d’un passage de grade.

Le kiri kaeshi a donc aussi une utilité démonstrative. Et en particulier pour un public initié tels que les très estimés juges nous posant cette question. Et cette utilité démonstrative est une propriété dérivée de son utilité pour les pratiquants eux-mêmes.

Ce champ d’application vierge permet d’abord de sublimer les qualités de la pratique, le kakarite démontrera sans doute son plus beau men lors d’un kiri kaeshi car il est libéré de toutes les contraintes qui pourraient nuire à sa pratique dans un autre contexte. Sa réussite pourra être une source d’enseignements pour les autres pratiquants du dojo quand le professeur la soulignera.

Mais il en va de même pour les défauts, là aussi la toile vierge mettra impitoyablement en évidence les vices de forme et les faiblesses de la pratique. Ce qui sera l’occasion de recevoir des conseils avisés à défaut d’obtenir le grade convoité dans le cas d’un passage de grade.

Notons que ceci est aussi vrai pour le moto dashi qui est lui aussi observé et jugé sur sa capacité à favoriser la réussite de son partenaire.

Nous conclurons en rappelant le concept essentiel de kikentai qui est l’union de l’esprit, du sabre et du corps. Parfois on réduit ce concept à sa seule fonction de validation du ippon, à cet instant ou le fumikomi, le kiaï et la frappe du shinaï arrivent simultanément pour marquer le point. Nous pensons que ce moment peut être allongé, étendu pour la durée de tout un exercice permettant d’exprimer, de faire exprimer et d’observer, le temps de vingt et une frappes consécutives, cet unisson. Nous pensons que telle est l’utilité du kiri kaeshi.